Quelques éclaircissements pour éviter les erreurs les plus courantes sur les sujets relatifs à la Tradition, aux religions et à l’ésotérisme. Ces points sont développés plus en profondeur dans le premier livre de Guénon : Introduction générale à l’étude des doctrines hindoues.
La Métaphysique
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La
métaphysique est la connaissance de ce qui vient après la physique,
celle-ci se définissant comme l’ensemble des sciences de la nature.
-
Elle est la
connaissance des principes d’ordre universel.
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Elle n’est
pas irrationnelle mais supra-rationnelle, elle n’est pas contraire à la raison
mais au-delà de la raison.
-
Elle n’est
pas une science. Il n’y a pas de découvertes possibles en métaphysique (au sens classique), car tous ses principes
sont susceptibles d’avoir été connu dans le passé. Il n’y a donc pas recherche
mais apprentissage.
Exemple de principe métaphysique: le Kairos. Le Kairos est le temps
de l'occasion opportune. Dans le langage courant, on parlerait de point de
basculement décisif avec toujours cette notion d'un avant et d'un après. In
fine, l'expression " instant d'inflexion " semble convenir : « Maintenant
est le bon moment pour agir. » Le Kairos, une dimension du temps n'ayant
rien à voir avec la notion linéaire Chronos (temps physique), pourrait être
considérée comme une autre dimension du temps créant de la profondeur dans
l'instant. Une porte sur une autre perception de l'univers, de l'événement, de
soi. Une notion immatérielle du temps mesurée non pas par la montre, mais par
le ressenti.
Les mathématiques
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Les
mathématiques sont une forme particulière de métaphysique liée à la quantité.
-
Les règles
mathématiques sont universelles.
-
Ces règles
sont susceptibles d’avoir été connues dans le passé. Il n’y a pas de recherche
possible en mathématiques (au sens classique, elle n’est pas basée sur
l’expérimentation).
-
Contrairement
à la métaphysique “pure”, les mathématiques sont accessibles à la logique.
Philosophie et pseudo-métaphysique
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La
philosophie est le domaine du rationnel.
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La
pseudo-métaphysique est une philosophie qui se croit métaphysique dans le sens
où elle est une recherche par la raison de ce qui vient après le
physique, après le matériel.
-
C’est une
recherche de la connaissance de choses ou d’êtres qui existeraient en dehors du
sensible, c’est une superstition.
Exemple: Les pensées métaphysiques de Descartes.
Théologie
-
La théologie est une réduction de
la métaphysique à son point de vue sentimental (un peu comme les mathématiques
sont une réduction de la métaphysique au domaine de la quantité).
Exemple: Le Saint-Esprit. C’est le feu intérieur et le sentiment
d’élévation spirituelle que ressent tout homme proportionnellement à la piété
de sa vie. Le but de la vie chrétienne est de faire de son corps un temps
spirituel pour le Saint-Esprit, c’est la quête de la Sainteté.
Éternité, infinité
-
Le domaine de
la métaphysique est radicalement séparé de celui de la physique, ses principes
sont donc en dehors du temps et de l’espace : éternels et infinis.
-
Les
difficultés de l’homme occidental à penser la métaphysique l’ont amené à se représenter
l’éternité comme l’existence sans limite dans le temps, et l’infini comme
l’existence sans limite dans l’espace. Ce sont des non-sens, en physique tout
est limité dans le temps et l’espace.
-
Dans la
métaphysique rien n’existe ni dans le temps ni dans l’espace, par définition.
La Tradition, les
traditions
-
La Tradition (avec une majuscule) est l’ensemble des principes
métaphysique universels, éternels et infinis.
-
Universelle,
éternelle et infinie, la
Tradition ne peut pas être découverte ou soumise au progrès
mais simplement redécouverte. Sa vocation est donc d’être transmise.
-
Les
traditions sont les formes particulières que prend la Tradition dans les
diverses cultures à travers le temps et l’espace.
Langues traditionnelles
- Les divers exemples précédents (confusion sur les définitions de métaphysique, d’éternité, d’infinité) permettent de se faire une idée de l’importance d’une langue figée (Latin, Hébreu, etc.), à l’abri des mutations que subissent nécessairement toutes les langues usuelles, pour la préservation d’une tradition.
Doctrine, dogme
-
La doctrine
est l’ensemble des concepts métaphysiques
d’une tradition particulière et constitue sa partie intellectuelle, sa base.
-
Lorsque ces
concepts sont essentiellement de nature théologique, on parle de dogme.
Morale religieuse
-
Une morale
religieuse est un code de conduite qui repose sur un dogme.
-
Sur le plan
personnel, la mise en application de la morale religieuse qui permet de faire
l’expérience de Dieu. Cette méthode s’appelle le mysticisme.
Morales religieuses:
-
Judaïsme: les
613 commandements.
-
Christianisme:
l’imitation du Christ.
-
Islam: la Sharia.
Morale philosophique
-
Une morale
philosophique est un code de conduite élaboré de manière rationnelle.
-
Elle est
relative.
-
Elle sert
souvent un but.
Exemple: Les Droits de l’Homme.
Symbolisme
-
Le symbolisme
est un langage pictographique dont la forme permet de mieux exprimer le
métaphysique que les simples mots ne peuvent le faire.
Exemple : Dans le christianisme, la foi est généralement représentée par une
ancre, parce que c’est le sentiment auquel le croyant s’accroche durant les
épreuves.
Exemple: La lumière est le symbole courant de la Vérité. Même dans le
langage courant il est difficile d’exprimer un tel concept sans recourir à des
métaphores relatives à la lumière. (“S’éclaircir les idées”, “Faire la lumière
dans une affaire”).
-
De même que
dans un langage classique un mot peut avoir plusieurs sens, et un sens exprimé
par plusieurs mots –notamment en passant d’un langage à un autre-, en
métaphysique un principe peut être exprimé par des symboles différents – notamment
en passant d’une tradition à l’autre.
-
Bien sur plus un symbole est complexe, plus son usage est exclusif.
Exemple de symbole complexe: Le Chrisme ☧. Constitué d’un P et
d’un X, deux lettres extraites du nom grec du Christ
(Χριστός). Il représente également
une clef dans une serrure. Ce symbole représente donc le Christ, mais d’une
manière telle qu’il exprime simultanément que le Christ est la Voie, le Chemin, l’exemple
dont l’imitation est la clef pour le royaume des cieux.
Idolâtrie
-
L’incapacité
à penser le métaphysique (ce qui est la norme en Occident) conduit souvent à
prendre le symbole pour ce qu’il représente par incapacité à s’élever à son sens
métaphysique. Ceci s’appelle l’idolâtrie, c’est une forme de superstition.
-
L’idolâtrie
est la raison pour laquelle certaines traditions interdisent le symbolisme.
-
Cette méprise
est particulièrement facile lorsque les symboles sont de nature anthropomorphique
(anges, dieux grecs, djinns...).
-
Paradoxe:
Cette forme particulière de superstition a souvent contribué à diffuser
concrètement des traditions, notamment les religions, tout en appauvrissant leur contenu intellectuel.
Exemple: La tradition grecque est l’exemple type d’une tradition dans laquelle l’idolâtrie
est généralisée. Les Grecs ne concevaient plus leurs dieux comme des symboles
représentants des principes métaphysiques mais comme des humanoïdes agissants
et doués de sentiments.
Rituels
-
Un rituel est
un symbole “agi”.
Exemple: Le baptême. Il symbolise l’entrée dans la vie
chrétienne. L’immersion dans l’eau représente l’immersion dans le Saint-Esprit
qui est le vrai début de la vie chrétienne. Le baptême d’eau symbolise le baptême
d’Esprit-Saint.
-
L’incompréhension
du sens métaphysique d’un rituel entraine une forme de superstition : la
croyance en la magie, c’est-à-dire la croyance que le but du rituel est d’agir
sur la matière par le biais de forces invisibles.
Culte
- Un culte est l’ensemble des rituels propres à une tradition.
Religions et Traditions
-
Une religion
est une tradition qui comprend un dogme (une doctrine théologique, la partie
intellectuelle), une morale (sa partie sociale) et un culte. Il n’y a donc que
trois traditions réellement religieuses: le judaïsme, le christianisme et
l’Islam.
-
Une tradition
religieuse ne comprend pas de morale, et surtout sa partie instinctuelle – sa
doctrine – n’est pas théologique mais purement métaphysique.
-
De la même
manière que le point de vue métaphysique est étranger à l’Occident (à telle
point que même la théologie est malmenée, sujette à la pseudo-métaphysique et
aux interprétations superstitieuses), le point de vue métaphysique est
quasi-inconnu en Orient.
Cas particulier du protestantisme
-
Le protestantisme
n’a pas de dogme, chacun est libre d’interpréter les écrits et de se forger sa
propre doctrine.
-
Sans dogme le
symbolisme, les rituels et le culte – perdent tout leur sens profond.
-
Le
protestantisme n’est donc techniquement pas une religion puisque réduite à son élément
moral. De plus la morale protestante, ne reposant pas sur un dogme, n’est plus
une morale religieuse. C’est une morale philosophique de culture chrétienne.
-
Le
protestantisme est l’exemple extrême de l’incapacité occidentale à la
métaphysique, de son matérialisme.
Esotérisme et exotérisme
-
L’ésotérisme
et l’exotérisme sont deux aspects d’une même doctrine.
-
Ce ne sont
pas deux aspects égaux, parallèles ou indépendants. Ils s’organisent sous la
forme d’une écorce et d’un noyau. Ils sont complémentaires.
-
L’aspect
extérieur exotérique est la partie la plus élémentaire, accessible, et
compréhensible d’une doctrine. Elle est susceptible d’être mise à la portée de
tous.
-
L’aspect
intérieur ésotérique de niveau plus élevé est réservé aux disciples réguliers
et préparés à comprendre. L’ésotérisme développe et complémente, donne un sens
plus profond.
-
Le cœur métaphysique
de toute doctrine est de nature inexprimable. C’est quelque chose que chacun
doit concevoir par lui-même avec l’aide des mots et symboles comme appui. Cette
partie inexprimable est universelle et éternelle, c’est la même dans toutes les traditions, c’est la Tradition.
-
Comme en
mathématiques, les signes et formules ne sont que les outils pour exprimer une
réalité qui peut être pensée sans eux.
-
Comme en
mathématique, la compréhension de la vérité demande des capacités intellectuelles
particulières pout appréhender la réalité représentée par les signes et
formules et utiliser ceux-ci de manière purement mécanique.
Sociétés traditionnelles
-
Au sens
guénonien, une société traditionnelle est une société dans laquelle la vie
sociale et les institutions sont englobées dans une tradition.
Exemple: La république islamique d’Iran.
-
Ne pas
confondre les sociétés dans lesquelles l’influence de la tradition est forte,
mais où c’est celle-ci qui dépend des institutions.
Exemples: Gallicanisme sous Louis XIV, Anglicanisme.
Gabriel
Monier
Commentaires (2)
1. Jan Gulielmus mardi 27 janvier 2015 à 14H31
Bonjour. Je suis toujours frappé des lacunes dans ce que je lis sur le protestantisme. Si un protestantisme étatique s'est cantonné dans de domaine intellectuel et les actions sociales, il y a avant tout le christianisme des évangiles. Il précède le catholicisme car a débuté dans livre des Actes des apôtres. S'il s'est dépouillé des rites et fêtes catholiques (qui sont la plupart babyloniens..)à la Réforme, il est d'autant plus profond. Bien au delà de toute définition de ce qui est spirituel ou non pour Monsieur Guénon. René Guénon qui, rappelons-le, a tenté de prouver que chaque religion pouvait trouver son analogie traditionnelle dans les Upanishads. Un travail de syncrétisme qui se retrouve chez certains de ses disciples comme Mircea Eliade. Il serait aisément démontrable que cette analyse manque cruellement de discernement. Pour ce qui est du protestantisme et de la manière que votre mouvement tend à systématiquement résumer le christianisme au catholicisme traditionaliste, je vous invite à étudier l'histoire des réveils méthodistes, pentecôtistes, d'Azuza-street, etc.. Où des villages entiers se précipitaient dans l'église pour se convertir et implorer le pardon de leurs péchés. Tant l'Esprit Saint avait convaincu leur conscience de de la gravité de leur égarement et des richesses de la grâce de Dieu. Quand à l'enseignement, permettez moi de rappeler que l'Eglise catholique a produit nombre de doctrines fallacieuses, ayant puisées ses lumières dans le néo-platonisme par manque de révélation directe du Saint-Esprit. C'est la raison pour laquelle les église protestantes sont remplies au Brésil, en Colombie, en Afrique et même en Europe. Je peux vous citer nombre d'enseignants protestants dont la profondeur de d’exégèse éclaire le sens profond des écritures. La Réforme a simplement affranchis les croyants des fausses doctrines asservissantes sorties tout droit des antres romaines. Ses rites qui ne touchent d'ailleurs que l'âme humaine mais n’édifient nullement son esprit. Lisez donc Frédéric Godet, John Wesley, Charles Spurgeon, Alexandre Vinet, etc.. Vous apprécierez certainement le tranchant de leur Logos. De plus, le libre examen de conscience ne signifie pas une interprétation libre et vide sens de la Sainte Bible. Mais plutôt la responsabilité de chaque individu envers Dieu de conformer sa vie aux aux enseignements de notre Seigneur Jésus-Christ et de ses apôtres.
Apocalypse 1.5-6 : "A celui qui nous aime, qui nous a délivrés de nos péchés par son sang, et qui a fait de nous un royaume, des sacrificateurs pour Dieu son Père, à lui soient la gloire et la puissance, aux siècles des siècles! Amen! "
2. Chose Binne dimanche 09 août 2015 à 07H43
Bonjour.
Laissez moi répondre du mieux possible.
Vous avez dit:
-S'il s'est dépouillé des rites et fêtes catholiques (qui sont la plupart babyloniens..)à la Réforme, il est d'autant plus profond.-
Guénon à ce sujet est assez clair, c’est selon lui (les vestiges babyloniens) des vestiges de la Tradition Primordiale, et de ce fait, toute doctrine traditionnelle, ou religion en étant ainsi issue, et ‘déformée’ graduellement par la marche descendante du cycle de la manifestation actuelle, les rites, mythes, symboles, peuvent donc ainsi en toute légitimité se transmettre de l’une à l’autre, et cela pour en permettre la survivance puisqu’elle (la Tradition Primordiale, sous une forme ‘babylonienne’ dans ce cas-ci) se serait simplement éteinte autrement. La légende du Graal en est un exemple, le christianisme ayant ‘réadapté’ cette légende Celtique qui se serait perdue autrement. Bien sur, cette légende subit ainsi certaines modifications, mais le ‘cœur’ de celle-ci resta intact, c’est-à-dire le lien légitime avec la Tradition Primordiale.
Ainsi entendu, dépouiller le christianisme de ses rites et fêtes comme vous dites, est le contraire même d’un retour au christianisme primitif, mais plutôt une dénaturation irrémédiable de celui-ci en tant qu’expression adaptée pour l’Europe de la Tradition Primordiale et un saut dans la superficialité, tout le contraire de la profondeur.
-René Guénon qui, rappelons-le, a tenté de prouver que chaque religion pouvait trouver son analogie traditionnelle dans les Upanishads. Un travail de syncrétisme (…)-
Les textes hindous étant les plus ‘bavards’ au point de vue métaphysique, c’est ainsi et seulement pour cette raison que Guénon y puisa ainsi abondamment. Aussi, comme résumé ci-dessus, les doctrines hindoues étant, comme toute doctrine traditionnelle ou religion respectant l’orthodoxie, une émanation de la tradition Primordiale, expliquant ainsi le supposé ‘’syncrétisme‘’ dont vous l’accusez et dont il se défendit amplement dans ses écrits, en qualifiant ses ‘travaux’ de synthèse.
-(…) certains de ses disciples (…)-
Guénon ne fut jamais un Gourou, ou chef quelconque, et n’eut aucuns disciples. Je vous invite à le relire, puisque vos critiques, jusqu’ici, s’écroulent tous lorsque l’on lit Guénon.
Ce n’est pas un auteur que l’on peut résumer en lisant ou survolant seulement 2 ou 3 de ses ouvrages, il me fallut personnellement lire et relire une dizaine de ses ouvrages pour finalement réussir à le cerner correctement.
-(…) votre mouvement (…)-
Il n’y a pas de mouvement ‘’guénonien’’, le premier à dire une telle sottise prouve par la même qu’il n’y comprend rien. Guénon ne fait que transmettre la vérité profonde que toutes les doctrines traditionnelles et religions partagent en commun : appelez-le Dieu, le Principe Universel, ou la Possibilité Universelle si vous voulez.
-La Réforme a simplement affranchis les croyants des fausses doctrines asservissantes sorties tout droit des antres romaines. Ses rites qui ne touchent d'ailleurs que l'âme humaine mais n’édifient nullement son esprit.-
La Réforme eut comme résultat l’explosion du protestantisme en une indéfinité de religions protestantes, plus ou moins farfelues les unes que les autres, (processus qui continue encore de nos jours, n’importe qui peut partir une religion protestante à partir de rien, il n’y a aucune qualification requise). Le christianisme de Rome n’étant surement pas sans défauts, mais qu’est-ce comparé au protestantisme qui fit grandement accélérer la naissance du monde moderne si clairement destructeur du sacré, jusqu’à la parodie…
-De plus, le libre examen de conscience ne signifie pas une interprétation libre et vide sens de la Sainte Bible. Mais plutôt la responsabilité de chaque individu envers Dieu de conformer sa vie aux aux enseignements de notre Seigneur Jésus-Christ et de ses apôtres.-
Comment faire alors sans aucune autorité, sinon rester une interprétation libre et vide de sens, allant jusqu’à la lecture la plus littérale et folle de la bible ou les extra-terrestres et le satanisme parfois s'y mêlent de la façon la plus idiote qui soit? Sans autorité aucune comme le Pape, et sans la ‘fraîcheur’ de la religion musulmane et du Coran, la religion chrétienne par le protestantisme se voit ainsi touchée à mort.
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